Dans cet article, je partage mes expériences et ma compréhension sur la bonne pratique du QiGong afin d’explorer ses états modifiés de conscience (EMC). Selon les expériences de chacun on peut remarquer ces manifestations :
- La perception inhérente de l’espace et du temps, comme si l’on s’immergeait dans l’immensité et l’infinitude, en fusion avec l’univers.
- Les sens deviennent aiguisés, amplifiés, et plus sensibles à notre environnement.
- L’émergence de sensation de chaleur et la mobilité des flux internes : il y a une force inexplicable qui s’incarne dans l’être.
- Une souplesse physique et psychique.
- Une mise en mouvement intuitive et non volontaire du corps, qui peut débloquer la stagnation de l’énergie et libérer les tensions.
Un regard qui se tourne vers notre monde intérieur
Dans la vie, le corps subit des tensions physiques, psychiques et émotionnelles. La circulation énergétique peut alors être entravée. C’est un des facteurs essentiels du déséquilibre humain. Dans ce contexte, la pratique du QiGong est avant tout une prise de conscience de ses tensions multiples, un regard qui se tourne vers notre monde intérieur. Nous prenons progressivement conscience soit que le ressenti émotionnel nous amène à la réaction corporelle, soit, à l’inverse, que la manifestation corporelle nous met en relation avec notre état intime émotionnel. Pour arriver à cela, quelques mots clés sont très importants : le lâcher-prise progressif, la concentration et la sensibilité. Dans la pratique du QiGong, on écoute le corps, on ajuste en permanence le rythme et l’amplitude des mouvements.
La pratique du QiGong s’appuie d’abord sur la modulation de la « forme » (la structure corporelle) 調形, et ensuite sur la respiration 調息, pour arriver à vibrer en résonance avec l’univers et éveiller le SHEN (« divinité », « puissance spirituelle » en philosophe chinoise) 調神. Il y a des principes très précis, qui ont besoin d’être enseignés et corrigés par les maîtres traditionnels. Chaque regard, chaque intention, chaque direction du mouvement compte. On acquiert la forme avec le temps et une pratique constante. C’est comme quand on fait un trajet, au début, on fait attention à la circulation et aux consignes sur la route. À force de répéter ce trajet, on connaît par cœur le chemin et les mouvements sont plus fluides.
Notions fondamentales de la vision anatomique chinoise
Je présente ici deux notions fondamentales :
- Les mouvements corporels sont en spirales au travers de chaque articulation. On peut illustrer cela par la torsion des torchons qui s’attachent entre eux. Certaines mauvaises habitudes quotidiennes ou les faux mouvements ou encore les compensations liées à la douleur, façonnent une structure qui devient plus ou moins rigide et dysfonctionnelle. Cette structure limite les mouvements, bloque la circulation interne, influence les organes et les viscères et cela peut provoquer plus tard des douleurs. Finalement, on rentre dans un cercle vicieux. Pour corriger ce déséquilibre, on passe alors par les mouvements en spirales, articulation par articulation.
- Le corps est enveloppé par des couches diverses (regardez mon article précédent sur les méridiens et les fascias), de la superficie (peau, tissus, tendons, muscles…) jusqu’à la structure osseuse. Ces couches sont reliées, mêlées et interagissent. On peut imaginer qu’il y a des vêtements de différentes textures, tailles et formes qui sont accrochés à un porte-manteau. Ils s’emboîtent les uns dans les autres. Quand on prend du temps à accomplir ces mouvements, on initialise la réhabilitation.
Notre corps sait intuitivement défaire les « plis » et les « nœuds ». Je pense à une phrase que Milton Erickson disait souvent à ses patients : « Tu sais quelque chose que tu ne sais pas que tu sais ». Alors quand nous restons tranquille et naturel, en l’absence d’activités mentales, en habitant le corps dans le moment présent, nous pouvons laisser une force innée en nous guider des mouvements spontanés, qui vont amorcer la réparation. Dans une époque lointaine de l’enseignement du QiGong traditionnel, on nomme cela DaoYin 導引:Mener l’énergie pour harmoniser la globalité, conduire le corps à la souplesse. 導氣令和,引體令柔
Relâchement inhabituel
Les maîtres recommandent le QiGong statique ou en mouvement, avant de pratiquer la méditation (qui fait partie du QiGong), parce que débloquer la stagnation du Qi favorise le calme intérieur et rend la méditation plus facile. Une majeure partie de la pratique repose sur le maintien de la posture (même en mouvement). En gardant cette tension, nous apprenons à relâcher l’intérieur de notre structure, et même à pouvoir bouger subtilement au dedans. C’est ce relâchement inhabituel qui permet au Qi (l’énergie-souffle / moteur de vie) de se manifester de manière croissante. Je me rappelle une anecdote intéressante : un jour un maître de QiGong met un aigle sur son bras, grâce à la maitrise très complexe de ses muscles, l’aigle n’arrive pas à s’envoler car l’animal ne trouve plus d’appui. Contrairement à certaines idées reçues, qui pense qu’on doit tout lâcher, l’intention oscille en permanence entre la tension et la détente, la contraction et la décontraction. Comme un accordéon qui se compresse et se décompresse, on peut comparer ainsi certains mouvements du QiGong.
Attention, alternance, répétition et absorption dans l’imaginaire
En médecine traditionnelle Chinoise et en QiGong, nous parlons d’un état particulier qui est proche de l’état modifié de conscience en occident. Dans celui-ci, nous pouvons citer certains elements clés : attention, alternance, répétition et absorption dans l’imaginaire.
Quelques exemples :
– Nous visualisons des boules, qui sont soit logées dans les paumes, soit formées par différentes parties du corps. Il y en a des petites, des moyennes et des grandes, partout nous sentons leurs existence.
– Nous faisons des mouvements en imaginant que l’air se densifie, c’est comme si nous nagions dans l’air.
– Nous Imaginons que tous les pores de la peau s’ouvrent et se ferment, ils font exactement comme l’air qui rentre et qui sort par les narines, ils respirent comme les poumons.
Progressivement, cela devient automatique, comme tous les fonctionnements biologiques du corps.
QiGong spontané
Outre la voie traditionnelle transmise par les maîtres, il existe aussi une pratique très différente, plus spontanée. En se mettant en état dit « QiGongTai », le corps se met en mouvement automatique. Pour se mettre dans cet état, c’est un peu comme si nous réglons notre fréquence interne ni en mode de réveil ordinaire, ni en sommeil, mais tout simplement dans un silence intérieur naturel dépourvu de tensions psychiques et physiques.
Cette fréquence active l’énergie interne et déclenche des mouvements qui correspondent au besoin de chacun, afin de libérer le circuit d’énergie interne. Cette manifestation est diverse et individuelle. La libération de ce flux favorise ensuite la méditation ou QiGong statique.
Autoguérison et état naturel
L’EMC engendré par le QiGong est peu abordé comme sujet en occident. C’est intéressant de le comparer aux phases non paradoxales du sommeil : durant le sommeil léger (qui constitue la moitié du temps de sommeil), le rythme cardiaque est ralenti, et il y a une alternance de périodes de tension et de relâchement musculaires. Durant le sommeil profond (qui constitue 10 – 20 % du temps de sommeil), l’organisme répare les lésions, régénère les tissus, construit les os et renforce le système immunitaire. Nous retrouvons pendant l’EMC en QiGong, des similitudes avec ces réactions biologiques, et ce processus d’autoguérison. 自癒
Cet état dit « naturel », comme il est décrit dans le livre de Lao Zi 老子, est comparable à l’état du bébé, aux enfants qui ne sont pas encore en prise avec les conditionnements et les sophistications (sans inhibition par le cortex frontal). Lao Zi parle de cet état spontané qui est proche de la voie du TAO 道法自然, qui unit l’âme avec l’univers. Cela procure la quiétude et la plénitude. L’entraînement avec le QiGong peut justement déclencher cet état merveilleux de conscience.
Une citation de Zhuang Zi 莊子 illustre cet état de « liberté » : « Quand en dragon, quand en serpent, il se métamorphose, il est en parfait accord avec le temps en ne consentant pas de se spécialiser“ 一龍一蛇,與時俱化,而無肯專為 — Il prend les choses comme elles viennent, comme l’inspiration, l’intuition et toutes les circonstances.
Écrit le 1 octobre 2021 à Paris